Septembre : Rentrée littéraire

Tout au long de l’année, venez écouter  nos cafés littéraires.  Pour le simple plaisir d’entendre de beaux textes et de découvrir romans récents et jeunes auteurs.

Chaque mois, Marc vient à votre rencontre à L’éprouvette-Théâtre à Colomiers mais aussi dans les médiathèques, associations culturelles…

France 80 de Gaëlle Bantegnie (Gallimard, coll. L’Arbalète)

France-80Premier roman.  Réservé en priorité aux amateurs des années 80, avec l’humour en cadeau Bonux !

Elle a la fantaisie d’un Prévert ou d’un Perec pour aimer ainsi les listes et les inventaires désordonnés, mais Gaelle Bantegnie a un vrai talent de romancière qui assemble situations, objets et personnages. Après une introduction assez formelle les ingrédients sont sur le comptoir. Dans le shaker, un bon zeste d’humour et le cocktail est aussi frais que ceux que nous dégustions en boite, au Louxor, « à l’époque ». Vous vous souvenez ?

Présentation de l’éditeur :  (…) Patrick Cheneau n’emmènera jamais Claire danser au Louxor dans sa Fuego bleue ; Claire Berthelot n’invitera jamais Patrick à la boum du collège salle 215. Claire et Patrick ne se connaissent pas Ça ne les empêchera pas de tomber amoureux de Nadine, de passer en seconde G, de devenir VRP, de se décolorer en blonde, de coucher avec ses clientes, de passer l’aspirateur, d’être bourré au gin-fizz, de se faire tripoter par John, de jouer au Trivial Pursuit, d’écouter Like a virgin dans un walkman flambant neuf.

Ouragan de Laurent Gaudé (Actes Sud)

ouagan_laurentgaudeUn livre fort tant par son décor apocalyptique que par son écriture lyrique.

La tempête sur la Nouvelle Orléans inonde la ville faisant sortir les personnages des maisons, des prisons ou de tous les asiles qui menacent de s’effondrer. Il y a surtout Joséphine, vieille femme noire qui tire sa force des stigmates de l’apartheid. Sa voix est un beau chant lancinant.

Est-ce un hasard si Keanu revient à ce moment de désordre et de chaos, vers Rose, qu’il a quitté six ans plus tôt ? Où, le petit enfant Byron, trouve-t-il sa résistance à toutes formes de peurs ?

Tockpick et ses co-détenus libérés grâce à une coupure du courant seront-ils pour autant libres de s’échapper des mains de leurs geôliers et des policiers ? Qui est cet homme à la silhouette improbable qui s’avance un hachoir à la main, cherchant à rejoindre le cimetière ? Chacun nous parle tour à tour. Je les imagine tous, flottants comme des bouteilles en messagers de leurs histoires particulières, croisant les alligators qui entrent en ville !

Laurent Gaudé trouve une voix nouvelle. Ce livre est très différent de l’univers d’un livre assez faible (selon moi) paru en 2004 « Sous le soleil des Scorta » pour lequel il avait (néanmoins) obtenu le Goncourt !

Extrait du site de l’éditeur :

Au coeur de la tempête qui dévaste la Nouvelle-Orléans, dans un saisissant décor d’apocalypse, quelques personnages affrontent la fureur des éléments, mais aussi leur propre nuit intérieure. Un saisissant choral romanesque qui résonne comme le cri de la ville abandonnée à son sort, la plainte des sacrifiés, le chant des rescapés.

Le sel de Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard)

lesel_jeanbaptistedelamoJe me souviens bien de son premier roman en 2008 L’éducation libertine qui mettait en scène un personnage du moyen âge. Un frère du Grenouille inventé par Patrick Suskind dans son célèbre roman Le parfum. L’éducation libertine, ne craignait aucune comparaison tant ce jeune auteur avait mis tout son art narratif et stylistique au service d’un livre d’un autre temps. Une écriture riche, coruscante jusqu’à l’excès parfois. Un style qui ici globalement s’affine, se débarrasse de ces scories (demeurent quelques préciosités : «  … quelque chose dans cet empressement avait instillé une crainte en Albin.. »). Le personnage principal est assurément la ville de Sète (son port intérieur, son bassin de Thau, ses marins, ses plages…). Habitent ce grand corps maritime, cette nasse, la famille du marin-pêcheur Armand, patriarche autoritaire père deux fils Albin et Jonas. Ces deux là sont aussi différents que le sont parfois les fratries. La fille est Fanny, la mère est Louise. Chacun des membres de cette généalogie présentera ses conjoints et sa descendance. Fanny est l’épouse de Mathieu. Martin et Léa leurs enfants. Jules et Camille, fils jumeaux d’ Albin et d’Emilie. Antonio est le frère d’Armand. Anna est la belle sœur de Louise. On ne se perd pas pour autant ! Le livre s’ouvre sur l’attente d’ un repas de famille.

L’étrange va et vient entre la richesse d’écriture et l’efficacité de paroles plus simples prend bien quand l’auteur pose en italique les pensées intimes de ses personnages (en français comme en italien) « Elle penserait : Ai-je échoué à protéger les décombres de leur vies ? Suis-je comme toutes les mères, une perdante ? Elle souriait pourtant, consciente de l’auréole d’or qui draperait ses épaules une fois encore, ils la croient indéfectible ».

On passe des rapports « père/fils » P165 à une scène à l’érotisme gay (sans complaisance & superbement écrite) P166 : le jeune Jonas découvre ses premiers émois. L’écriture incisive mord dans toutes matières pour en découvrir curieusement les saveurs les plus incongrues P50 quand le personnage d’Albin, lui, rechigne à embrasser son défunt grand-père « à la lueur d’une lampe de chevet sur laquelle un napperon avait été étendu, les mailles du crochet dessinaient sur les murs et la joue de l’aïeul une vérole ombrageuse ».

On a l’impression que l’auteur ose tout -à l’instar d’un olivier Py – mêlant toujours sang, sperme, larmes et une vie qui éloigne cette histoire de tout drame définitif. Car c’est bien l’énergie qui pousse le lecteur à dévorer ces pages. Pari réussi pour ce deuxième livre différent et proche de notre découverte récente de ce nouvel auteur.

MF

Avec Bastien de Mathieu Riboulet (éd. Verdier)

Avec-BastienRésumé d’éditeur : Bastien a la trentaine. Il a passé son enfance en Corrèze dans un hameau isolé, au sein d’une famille aimante. À huit ans il tombe amoureux de Nicolas, un de ses camarades de classe, qui disparaît peu après dans un accident de voiture. N’ayant pu consacrer sa vie à ce garçon, Bastien la consacrera aux hommes que le hasard mettra sur sa route.

Un livre dont tout nous secoue. Le style élégant, raffiné, sans manières inutiles est d’une efficacité redoutable. On ne peut ignorer que cet auteur travaille sa prose avec grand talent. Riboulet est assurément un grand auteur.

Le sujet donne un visage à la pornographie-gay, que pratique Bastien avec fraicheur et appétit, comme il pratique par ailleurs, l’alpinisme ou le métier de serveur… Le corps de Bastien exulte.

Le narrateur qui le voit sur son écran vidéo tombe en amour pour tout ce qui fait Bastien à ses yeux.

La « mise en scène » de ces films passe par une description de la « table » (qui remplace le lit) et qui forme un autel avec son décorum, sa dimension sacrée, sacrificielle…

J’ai eu la chance d’écouter lire Mathieu Riboulet, un extrait avant publication, lors de « Paris en toutes lettres ». Rarement un auteur n’a présenté un tel respect pour son texte, lu droit et sans affect, concentré sans pudeur ni pédanterie. Je conseille ce livre tout en étant assez conscient qu’il peut en choquer certains(nes).

MF

Extrait :

Bastien se moque de la fraîcheur du grenier, du mauvais plancher qui lui fiche des échardes dans les pieds, quand on se mesure au ciel on ne s’arrête pas à de tels détails, on le défie en fille même si on est un garçon, surtout si on est un garçon. On y lève les bras quand bien même les jupons n’ont pas de manches, on se sent prêt aux cruautés les plus sombres, à s’en aller défier les plus terribles monstres, en un mot en fille on est cent fois plus courageux… Bastien n’a pas peur d’avoir découvert ça, mais il a peur d’en parler, il sent que ses frères ne verraient pas les choses de cet œil. Bastien remet les affaires dans la malle, il ne cessera plus de s’habiller en fille dans les interstices que les temps et les lieux qu’il traversera lui laisseront pour se faufiler dans l’immense courage féminin.

Le jour du roi – Abdellah Taïa (éd. du Seuil)

9782021002539Beau titre pour ce roman. On pense à « Corps du roi » de Pierre Michon. Hélas… l’auteur peine ici à ficeler ce livre à l’érotisme lourd et répétitif (il semble partager le goût de l’auteur de « La mauvaise vie » son ami Frédéric Mitterrand, pour les jeunes garçons qu’il déshabille à longueur de pages…le nombre de fois où il écrit, fasciné par eux, ces deux mots : « CORPS- NU » finit par tuer leur beauté ). Les deux jeunes protagonistes n’ont que peu d’ autonomie et la voix adulte de l’auteur t, psychologise trop souvent.

Du rêve et ses glissements fantasmatiques, on passe à l’exotisme bien réel, au charme du terroir marocain. Le roi (Hassan II) ne viendra pas et l’on finit même par perdre sa trace, l’onirisme aussi.

Reste… le courage d’un homme que l’on salue plus pour son engagement contre l’homophobie dans les pays arabes, à travers ses livres et ses interview. Abdellah TAÏA affirme son orientation sexuelle qui bouscule les médias arabophones comme sa famille. Il est un « zamel » un pédé, comme on crache ce mot en arabe. Lorsqu’ils parviennent à se procurer ces livres, les jeunes homos maghrébins en font une icône.

EXTRAIT :

« Cette course était celle de Khalid. Ce serait peut-être, la dernière entre nous. Pour la dernière fois nos deux corps en train de courir, de souffrir, de se dépasser pour rien. La dernière fois à égalité. La dernière fois emportés tous les deux par le même souffle, la même inspiration. Adolescents de presque quatorze ans, encore un petit moment dans l’enfance. La dernière fois pour Khalid de jouir de cette joie simple qu’il trouvait à être avec moi. La retrouverait-il un jour quelque part ? Avec qui ? ».

Des gifles au vinaigre – Tony Cartano (Albin-Michel)

desgiflesauvinaigreQuand l’auteur parle de ce livre il dit qu’il s’est mis « face au toro ». Un sujet maintes fois « taquiné » à travers ses précédents ouvrages «  j’ai longtemps rêvé, on l’aura compris, de l’invention grâce à laquelle j’allais échapper, après tant d’années d’atermoiements, à l’examen de conscience, à la rigidité calculatrice de l’autofiction ». Il s’approprie le personnage de son père, héros de la guerre civile espagnole. Hélas cette histoire contée longtemps après ses souvenirs d’enfants font de cette autobiographie un ensemble d’images vieillottes. La langue parfois mélodramatique ne génère pas l’émotion attendue. Ce qui peut-être pourrait nous toucher est à l’opposé du monument : c’est la figure d’un héros ordinaire, « d’un révolté ordinaire » comme il y en eu un certain nombre. C’est ce courage qui nous intéresse aujourd’hui. Ce témoignage s’ajoute à d’autres voix qui sont toutes certes légitimes, bonnes à entendre… Ici néanmoins, quelques belles pages dont voici un morceau choisi :

« Je trouve tous les jours, à chaque minute, les bribes de chemin qui me conduisent vers le dénouement. C’est à souhaiter, car à chaque pas, maladroit trébuchement ou double saut périlleux arrière, s’arrachent des morceaux de ma peau, se démantèle un peu plus l’architecture douloureuse de mon corps fatigué. Le plus étrange, cependant c’est que tout ce qui, dans l’usure de la vie courante et des sentiments, vise à m’affaiblir, à me réduire un peu, à me tuer, quoi!, me redonne de la force, le désir de la transgression. »

Les assoiffées – Bernard Quirigny (éd. du Seuil)

lesassoiffeesC’est un premier roman.
Le sujet bien sur en amusera plus d’un ! Les femmes au pouvoir, dans un pays vidé, débarrassé des hommes et de leur suprématie séculaire. Ce pays presque imaginaire s’appelle la Belgique (que l’auteur chahute en frère). Le principe est posé, amusant. Son regard pointe sur les régimes révolutionnaires, totalitaires (Cuba avec une « Chée » Belge ? Une figure féminine comme la femme politique du couple de dictateurs roumains Elena Ceausescu). Mais le bouquin est long-396 pages- et l’auteur peine à nous intéresser vraiment, à nous surprendre. Rien de nouveau sur le rapport féminin-masculin, l’évolution du féminisme. Au contraire les clichés défilent. En quatrième de couverture on nous signale les divers prix et distinctions qu’il reçut pour ses précédents textes (contes et nouvelles que je ne n’ai pas lu, malgré de chaleureuses recommandations-ndr-) dont un « Prix du style » ! Il est heureux que l’éditeur ait pris le soin de nous indiquer que nous étions entre de bonnes mains car on en doute parfois tant l’écriture paresse, truffée d’expressions faciles régulièrement décevantes.

Un principe de narration retient mon intérêt : la vision croisée d’un groupe d’observateurs français invités par le régime (..ah ces journalistes !.) que l’on « balade » dans tous les sens du terme, et celle d’une femme Astrid « enrôlée » par la « Bergère(*) » dont on suit en parallèle, le journal intime, révélateur d’une toute autre vérité. Plus riche…Montesquieu balise le chemin d’Astrid en de courtes citations glanées dans la bibliothèque de l’Empire. On voit mieux, un instant, où ce livre nous mène : « L’extrême obéissance suppose l’ignorance de celui qui obéit ; elle en suppose même de celui qui commande ; il n’a point à délibérer, à douter ni à raisonner ; il n’a qu’à vouloir. » Montesquieu.

*terme désignant la guide suprême de l’Empire

Enlèvement avec rançon – Yves Ravey (éd. de Minuit)

enlevementavecranconLivre déroutant !
Il écrit ici un faux polar où chaque mot n’est pas un détail. Il s’amuse de cette histoire courte qui flirte avec l’absurde. Une sombre histoire. Presque comique comme les noms dont il affuble ses protagonistes : les frères Jerry et Max, ou Salomon Pourcelot le père Samantha* Pourcelot, jeune raptée. (*clin d’œil franco-américain assumé !). Dans un décor de neige où chacun ajoutera sa touche de cinoche (que l’on soit plus Derrick-dans ce cas la neige sera verdâtre- ou plus Hitchcock du blanc, du noir et paf du rouge !) Cruelle, cette histoire d’enlèvement ne mérite pas que je vous la raconte tant l’intrigue est simple, la finalité crapuleuse et vengeresse. C’est là tout le charme de cette écriture qui dépasse nettement le cadre du polar. Enlèvement avec rançon est un livre agréable à lire. L’écriture bien maitrisée n’offre que du nerf de beef, pas de bout de gras ! Bravo.

Résumé de l’éditeur :

Max et Jerry ne se sont pas revus depuis que Jerry a quitté la maison familiale pour l’Afghanistan. Max, son frère, est resté comptable dans une entreprise d’emboutissage.

Et, si, un soir, Jerry passe la douane en fraude pour un retour de quelques heures parmi les siens, c’est que, comme Max, il poursuit un objectif qui devrait lui faire gagner beaucoup d’argent. Le plan ne peut échouer. Quitte à employer les grands moyens.

Le wagon – Arnaud Rykner (éd. du Rouergue)

Collection La brune

 le_wagon« Tout ce qui est écrit est vrai. Tout ce qui est inventé ici est vrai aussi. » Ainsi nous prévient l’auteur. A moi lecteur, Arnaud m’envoie amicalement son livre il y a quelques semaines avec cette dédicace que je ne comprends pas d’abord : Pour toi, ce livre impossible à lire.

A présent oui, la formule n’était pas un signe d’humour mais une mise en garde. La plage et le vide de l’été m’ont offert un temps idéal pour laisser agir ce livre incandescent (incandescent, ce terme est peut être indécent et rejoint en cela toute la question de la légitimité de cette écriture…) Faut-il être juif pour écrire sur la Shoah ? Faut-il avoir été déporté pour parler des camps ? La réponse (pour moi) tombe sous le sens. Tout être humain, quelle que soit son identité, peut chercher et questionner cette histoire là aussi. Arnaud Rykner n’en fait pas « un sujet, un motif ».  S’il parle de la barbarie, il parle aussi de lui, de ses craintes, de sa force. Ainsi, il nous parle aussi directement, c’est ce qui me touche. Rien ne nous est épargné, aucun détail sordide et important, car ici tout est important jusqu’à l’issue fatale. Seule, quand la vie disparait plus rien n’a d’importance. Ce wagon qui roule vers Dachau devient pour les hommes qui y sont entassés une ultime expérience de vie. Un laboratoire humain, inhumain. À l’instar d’autres expériences réalisées par les nazis à la même époque… pourtant celle-ci semblerait presque inorganisée. Un wagon lancé dans la précipitation avec une cruauté aveugle et démente. J’y vois les loups dont parle De Vigny  « l’homme est un loup  pour l’homme ». Dans le wagon, s’improvise une organisation inhérente à toute société humaine où toujours s’exerce l’autorité des uns, la confiance ou la faiblesse des autres. Un pauvre monde d’une grande richesse de sentiments. Arnaud Rykner ne cède pas au lyrisme à outrance. L’écriture est tendue. Le lecteur aussi. Une écriture qui flirte avec les limites, tout ici est limite. Limite de l’indicible, limite de l’horreur, limite de l’imaginable, limite et frontières terrestres au delà de quoi tout s’effondre, tout espoir borné quand le wagon arrive…

« Ce n’est pas un livre d’Histoire. L’histoire est bien pire. Irréelle. Ceci est un roman ». (A.R.)