Rentrée littéraire, septembre-octobre 2013

guerre du Liban. cette photo me renvoie à une oeuvre de Miquel Barcelo vue cet été au musée de Ceret.

Guerre du Liban. Cette photo me renvoie à une oeuvre de Miquel Barcelo vue cet été au musée de Céret. 

Aiguillonné par la littérature d’aujourd’hui, j’écoute respirer le monde… voici un menu-littéraire, en cette rentrée 2013, lisons…restons vivants !

 

Coup de coeur pour le roman de Sorj Chalandon Le quatrième mur, paru chez Grasset.

Le livre raconte l’histoire d’amis idéalistes qui veulent monter une pièce de théâtre (Antigone d’Anouilh) au Liban, en 1982 pendant la guerre. Créon sera chrétien, maronite. Antigone sera palestinienne. Hémon sera Druze. Les Chiites seront là aussi, et les Chaldéens, et les Arméniens.

Les « évènements » de Syrie actuels résonnent soudain avec une grande force, à la lecture de ce récit en pleine guerre du Liban. Ce bouquin à peine terminé j’ai eu envie d’en savoir davantage, je me suis documenté. Une lecture qui en appelle une autre… c’est le signe d’un bouquin réussi ! Car si Chalandon est ou fut journaliste, je ne sais plus, (à Libé, entre autres) c’est un très bon romancier qui cède la place au journaliste et conte ici. Son talent réside dans le fait de ne pas donner dans sensiblerie, en pleine atrocité, son texte vise juste. Il questionne le rapport à l’engagement, à la fraternité. J’ai aimé aussi le rapport au théâtre qu’il pose (Cf la définition du quatrième mur p39) Ce livre est très vivant. (Lisez à voix haute, pour vous en rendre compte). J’ai aimé ces personnages d’utopistes avant qu’emportés par la confusion meurtrière des belligérants, ils ne soient emportés eux aussi, dans les fumées de leur propre confusion.
un extrait : (qui me touche particulièrement )

Sam.
Il s’était levé, imposant, tranquille. Depuis trois mois qu’il était réfugié en France, jamais je ne l’avais entendu durcir la voix, fermer les poings ou froncer les sourcils. Quand nous nous battions, il refusait de s’encombrer d’une barre de fer. Il disait qu’une bouteille incendiaire n’était pas un argument. Sam était grand, cabossé et musclé à la fois, taillé comme un olivier fourbu. Parfois, les gens le prenaient pour un flic. Ses cheveux courts et gris au milieu de nos crinières de gauche, sa veste de tweed frottée à nos blousons, sa manière de dévisager un lieu, de scruter un regard. Sa façon de ne jamais reculer. Ou alors lentement, en marche arrière, défiant l’adversaire glacé par son sourire. Nous redoutions tout à la fois la police, la droite extrême ou l’embuscade sioniste, mais lui ne craignait rien de ces coups-là. Après avoir connu la dictature, la bataille d’Athènes et la prison, il disait que nos combats étaient un genre d’opérette. Il ne jugeait pas notre engagement. Il affirmait simplement qu’au matin, personne ne manquerait à l’appel. Qu’aucun corps mort ne resterait jamais derrière nous. Il disait que notre colère était un slogan, notre blessure un hématome et notre sang versé tenait dans un mouchoir de poche. Il redoutait les certitudes, pas les convictions.
Un jour, au carrefour, il m’a empêché de crier « CRS=SS » avec les autres. Comme ça, main posée sur mon bras, ses yeux noirs dans les miens. Nous étions piégés par les gaz. Entre deux formidables quintes de toux, il m’a demandé si je connaissais Alois Brunner. Je l’ai regardé sans comprendre, effrayé par son calme. Alois Brunner? Oui, bien sûr, le criminel de guerre nazi. Les lacrymogènes avaient une odeur de soufre, nos pierres gâchaient le ciel, les cris, les matraques écrasées en cadence contre les boucliers. Nous étions sur le trottoir, lui, moi. Il a arraché ma barre de fer et l’a jetée dans le caniveau. Il a baissé son foulard et m’a poussé devant lui. Je me suis débattu violemment.
-Tu es dingue!
Il m’emmenait vers le cordon de police, comme un inspecteur en civil traîne sa proie vers le car des interpellés.
-Montre-moi Brunner, Georges! Vas-y!
Nous étions face au cordon de CRS, seuls au milieu de la rue, tandis que nos camarades refluaient tout autour. Les policiers s’apprêtaient à la charge. Un officier remontait les rangs en hurlant au regroupement.
-C’est lequel, Brunner? Dis-moi!
Sam ne me lâchait pas. Du doigt, il désignait un par un les hommes casqués.
-Celui-là? Celui-là? Où se cache ce salaud?
Et puis il m’a libéré. Les policiers attaquaient en hurlant. Il a ouvert une porte d’immeuble et m’a poussé à l’intérieur. Je pleurais, je tremblais du manque d’air. Et lui suffoquait. Derrière la porte close, la rue se battait. Hurlements, plaintes, fracas des lacrymogènes. J’étais assis sous les boîtes aux lettres, adossé à la porte d’entrée. Sam s’est accroupi à ma hauteur, main posée contre le mur à la recherche d’un souffle. Il a baissé mon foulard du doigt.
-Alois Brunner n’était pas là, Georges. Ni aucun autre SS. Ni leurs chiens, ni leurs fouets. Alors ne balance plus jamais ce genre de conneries, d’accord?
J’étais d’accord. Un peu. Ce n’était pas facile. J’aurais pu répondre qu’un slogan était une image, un gros trait, un brouillon de pensée, mais je n’en ai eu ni l’envie ni le courage. Je savais qu’il avait raison.
-Protège l’intelligence, s’il te plaît, a dit Sam. Et puis il m’a aidé à me relever.

Un peu d’histoire… (pour ceux pour qui comme-moi…s’y perdent un peu).

La guerre du Liban* est une guerre civile ponctuée d’interventions étrangères qui s’est déroulée de 1975 à 1990 faisant entre 130 000 et 250 000 victimes civiles. Les séquelles du conflit se font sentir sur une longue période avec une laborieuse reconstruction, le maintien de milices armées autonomes et des reprises ponctuelles de violences.
En 1976, la Syrie impose un cessez le feu et propose un rééquilibrage du partage des pouvoirs entre communautés.
Cette même année, le président syrien Hafez el Hassad ordonne l’entrée de troupes et de blindés au Liban dans le but de « préserver le statu quo et mettre en échec les ambitions des Palestino-progressistes ».
Grâce à l’intervention militaire et diplomatique des puissances régionales arabes, le président libanais et le chef de l’OLP sont convoqués à Riyad cette même année. Ils sont invités par l’Arabie Saoudite et l’Egypte à reconnaître la légitimité de la présence des troupes syriennes au Liban, et l’officialisent par la mise en place de la Force Arabe de Dissuasion (FAD) par leur propre confusion.