Février 2010 – La ville…

Ce thème apparait sans intention thématique de ma part.
Un jeu intuitif simple. Ici les trois livres que je présente ont en commun une proximité et un rapport à la ville .
Dans le roman de Martin Page, La ville de Paris est une présence menacée. Dans le roman de Yasmina Khadra elle est un danger, que les clochards exilés à ses portes craignent d’affronter à nouveau. Dans La centrale, formidable livre d’Elisabeth Filhol, les petites villes voisines sont légalement distantes de 5 kilomètres. Mesure de protection. Protéger les villes ? Leur reprocher d’êtres ces monstres énergivores & responsables de violences urbaines ?
De ville en villes, lisons ! Voici le programme que je lis en février sur le réseau des bibliothèques et médiathèques de Midi-Pyrénées. Rencontrons-nous échangeons nos points de vues et nos lectures ! Voici mes coups …de cœur ou d’infortune :

LA CENTRALE d’Elisabeth Filhol – éd. P.O.L.

lacentraleVoici un premier roman surprenant, La centrale (terme réservé habituellement aux centres de détention) qui décrit le quotidien d’ouvriers -volontaires – et intérimaires dans le nucléaire. Une vie calquée sur le rythme capricieux de ces bouillonnantes « cocottes minutes » entre danger, isolement et précarité. C’est « un monde » qui s’ouvre pour le lecteur, en territoire hostile. J’ai aimé l’originalité du propos de ce livre qui nous entraîne là où (pas même l’auteur, ai-je lu) n’est jamais entré. Et pour cause… qui peut avoir envie d’entrer dans l’enceinte d’une centrale nucléaire ?  Pourtant cet univers semble familier à l’auteur au point que ses explications sur le fonctionnement même de la Centrale sont clairs. Pas de parti pris politique affiché, merci madame! Une unique question « centrale » : qui sont ces professionnels qui campent d’un « chantier » à l’autre, nomades d’un genre nouveau voyageant de Chinon au Blayais ? Ces hommes taiseux et mélancoliques parviennent assurément à nous tirer à l’intérieur de leurs « sas » intimes d’insécurité. L’écriture d’apparence froide s’humanise peu à peu. Et cette économie de sentiments, ne donne que plus de force à l’émotion qui gagne le lecteur à la fin de sa lecture. A découvrir absolument ! MF

[extrait] : « Je sors, elle est devant moi. Et parmi ceux qui en sortent, de l’équipe du matin, une poignée d’hommes traversent la route départementale et marchent en direction du bar. Au premier, je tiens la porte. Je devrais être parmi eux qui vont boire après leur journée de travail pour faire sas, comme par excès de sas et complexité des procédures à l’intérieur, le besoin qu’on éprouve d’une zone tampon avant de rentrer chez soi, en dehors de l’enceinte, et pourtant encore dans sa sphère d’influence, entre collègues qui en parlent et elle toujours à portée de vue, et en même temps au milieu des autres, ceux qui n’en parlent jamais, routiers, livreurs, ouvriers de la société d’autoroutes, artisans, qui pour certains ne la voient même plus, sauf en première page des quotidiens régionaux quand elle fait la une. »

LA DISPARITION DE PARIS

ET SA RENAISSANCE EN AFRIQUE

de Martin Page (éd. L’Olivier)

ladisparitiondeparisDerrière ce titre énigmatique et extravagant, on découvre le dernier roman d’un jeune auteur (né en 75) Martin Page. Il écrit régulièrement pour la jeunesse (Cf l’excellent Je suis un tremblement de tête ED L’école des loisirs). Deux genres littéraires pour une même littérature naïve (ce peut être une qualité) avec des personnages dotés d’une psychologie simple (ce qui ne peut-être qu’une apparence…).   Ce livre est un conte façonné et dopé de nombreux détails réalistes. Son théâtre : la ville de Paris, arpentée par un protagoniste aussi connaisseur qu’admirateur des lieux.   Son histoire : celle d’un homme qui désire accomplir quelque chose d’extraordinaire pour quelqu’un qui vient de mourir et, ce faisant, contribue à sa propre  » renaissance « . Mathias, l’étrange et fantaisiste héros est un homme  » de l’ombre  » qui rédige depuis douze ans des discours pour le maire de Paris. Il se voit confier, par un drôle de hasard, une mission très délicate : il doit trouver le moyen de réparer l’outrage dont a été victime Fata Okoumi, une richissime femme d’affaires africaine qui, alors qu’elle se promenait à Barbès, a été grièvement blessée par un policier auquel elle refusait de présenter ses papiers d’identité. MF

[extrait] : « Personne aujourd’hui ne croit plus que les hommes politiques écrivent eux-mêmes leurs discours. Ils ont mieux à faire. Des gens comme moi jouent les Cyrano de Bergerac, écrivant les mots qui permettront à des hommes populaires de conquérir les cœurs. Et nous restons sans amour. Mais avec la conviction que nous participons à la naissance de choses qui en valent la peine. » p. 43

L’OLYMPE DES INFORTUNES

de Yasmina Khadra (éd. Julliard)

lolympedesinfortunesL’auteur de l’Attentat* (livre fort, à lire absolument) est un conteur talentueux. Hélas il semblerait que ce dernier livre (comme le précédent) ne portent pas un sujet aussi brûlant pour parvenir à intéresser ses lecteurs qui se contenteront (ou pas) d’une fable assez falote . L’OLYMPE DES INFORTUNES met en scène des exclus que l’auteur nomme clochards, sans doutes pour s’éloigner des SDF et des images trop présentes. Entre la décharge publique et la mer survivent les membres de la tribu des Horrs. Ha si les exclus parvenaient à se donner la main !  Dans cette galerie de freaks classiques on trouve : Ach le Borgne qui sait mieux que personne magnifier les clochards ; Junior le simplet ; Mama la fantomatique à peine perceptible au milieu des hommes ; le Pacha et sa cour de soulards ; et d’autres personnages assez obscurs. L’auteur les voudrait attachants. Néanmoins ces personnages sont peu consistants. Les dialogues oscillent entre une langue nourrie d’échanges ultra-riches, inimaginable pour l’ensemble de ces reclus et des dialogues creux (CF Qu’est ce qu’une femme ?.. pourrait être une belle question qui espère une belle réponse) hélas on sort de la fable pour écouter une série de lieux communs et l’on s’ennuie un peu. L’incongruité de l’homosexualité des deux couples ne convainc pas. Poser une issue affective telle, dans ces milieux évidemment masculins où s’exerce un jeu de dominant- dominé est une tarte à la crème grotesque. Reste quelques envolées poétiques et philosophiques …MF

[extrait] : « Seule la bêtise est increvable, Junior. Tu t’rends compte ? Si on refilait un sou à chaque con sur terre, on ruinerait tous les empires du monde. Depuis la nuit des temps, les gens s’entrebouffent copieusement. Ils savent rien faire d’autre. La paix n’est qu’une trêve pour eux, et elle consiste à peaufiner les représailles, les coups fourrés, les guerres et le malheur, et Dieu se sent coupable du merdier que nous sommes les seuls à rendre possible.

Junior médite les propos du Musicien en hochant doctement la tête. »

*On peut toujours lire ou relire « L’attentat »… : Dans un restaurant bondé de Tel-Aviv, une femme fait exploser la bombe qu’elle dissimulait sous sa robe de grossesse. Toute la journée, le docteur Amine, Israélien d’origine arabe, opère à la chaîne les innombrables victimes de cet attentat atroce. Au milieu de la nuit, on le rappelle d’urgence à l’hôpital pour lui apprendre sans ménagement que la kamikaze est sa propre femme.