Rentrée sans cartable pour moi… mais avec un bel enthousiasme pour des trouvailles à partager… Un tri parmi les 335 romans français parus ou à paraitre avant fin octobre ! Et pour l’heure je n’ai pas lu les romans du domaine étranger (Franzen, ou le merveilleux Murakami, pour ne citer qu’eux parmi les 319 romans qui s’ajoutent à cette liste. Ce qui porte à 654 le nombre de romans à découvrir cette saison. Bonnes lectures !
Mon coup de cœur :
Son corps extrême de Régine Detambel
(éd. Actes Sud)
Il y a des livres qui ont parfois une résonance forte. Je n’oublierai pas celui là.
Il commence par une absence. Le personnage principal a un accident de voiture qui la plonge dans le coma.
« Alice est sinueuse, elle flotte, en suspension dans la clarté, d’un vol à peine battant mais profondément rêveur… ».
Cet état d’une « autre forme de vie » est extrêmement bien écrit dans une langue poétique, très précise et très lumineuse. C’est un roman lumineux. L’expérience mystique au sens fort du terme sera une partie intéressante de l’aventure (loin des clichés du genre). Tout autant que l’aventure de reconstruction physique du corps brisé d’Alice. J’ai particulièrement aimé le rapport à la perception du son intérieur-extérieur à son corps. Les liens entre l’accident et les conflits qui l’ont secouée bien avant, ne sont pas sans rapports. Alice ose confesser qu’elle n’aime pas son fils, assume sa part de méchanceté (lisez la scène du poisson rouge, qui mêle humour et cruauté !). Progressivement le lecteur soutien les efforts d’Alice qui livre une part de sa mémoire passée tentant de se construire un avenir. Nous restons au chevet et son rythme est le nôtre. C’est ce sens du tempo juste qui crée le bel équilibre de ce livre fragile.
Extrait de la quatrième de couverture : « ce voyage dans le chantier organique et le monde clos qu’est l’hôpital est aussi un roman puissamment initiatique sur les séductions exercées par la mort et la maladie à certaines étapes de l’existence, quand s’instaure un rapport inédit à la vérité, voire à une forme de spiritualité ».
Des vies d’oiseaux de Véronique Ovaldé
(éd. L’olivier)
Une écriture très travaillée qui joue (comme dans son précédent roman Ce que je sais de Véra Candida) du charme d’un certain exotisme. Pourtant pas de clichés, mais un parfum fleuri qui convoque les images dont le lecteur situera lui même les lieux. Un roman bien écrit, peut être travaillé plus finement que le précédent encore, et pourtant l’imaginaire est moins riche, la situation comme l’éternelle trilogie (femme, mari, amant…) moins extravagante. Ce livre est pour moi moins coloré, moins intrigant que le précédent.
Je ne partage pas les termes de « grace hypnotique » avancés par Télérama. La scène joliment intitulée « La peau » ne tient pas tout à fait la promesse d’une scène à classer dans les anthologies déjà riches sur ce sujet de la « scène d’amour ». Je préfère la scène de rencontre entre Paloma (la fille de Vida) et le jeune Adolfo à la piscine… intitulée « une architecture à mon échelle ».
Chaque chapitre comporte un titre en forme d’ellipse. Une manière d’assumer un genre littéraire aussi accessible qu’ une chanson de Souchon* : « mon bonheur privé » « la mémoire pointillée » « mon coeur en sautoir »…
La psychologie des personnages est assumée, dans un genre parfois un peu trempé, mâtiné d’ auto-dérision. « Vida se lève de la table durant la soirée et, en passant dans le couloir, elle aperçoit son reflet dans le miroir. Ce qui lui crée un léger choc. Elle se sent ridicule dans ses voiles verts, on dirait une Grace Kelly inconsolable, l’une de ces femmes qui boivent trop de gin tonic dans les films brésiliens des années soixante. »
En filigrane l’égalité homme femme et les inégalités sociales perchent sur les mêmes branches ces vies d’oiseaux qui finissent par prendre leur envol.
*(ce qui est pour moi un vrai compliment).
Extrait… introductif !
« On peut considérer que ce fut grâce à son mari que madame Izarra rencontra le lieutenant Taïbo. Monsieur Izarra avait tenu à appeler le poste de police, un soir d’octobre 1997, malgré l’heure tardive et le caractère sans urgence de son appel, afin de déclarer qu’il leur semblait avoir été cambriolés mais que rien, et il avait insisté étrangement sur ce point, ne leur avait été dérobé ».
Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine De Vigan
(éd. J.-C. Lattès)
Les critiques parlent de « pudeur » c’est dire si ce que livre Dephine De Vigan est un texte réussi.
Car cette saga familiale ne se concentre pas toujours sur le personnage de la mère (ce que l’on lit pourtant partout dans la presse) mais j’apprécie personnellement beaucoup d’avoir rencontré Liane grand-mère joyeuse et courageuse. Un beau personnage qui refuse de voir le mépris de son mari qui la croit sotte. Cette grande famille chahutée par un destin tragique nous offre aussi un retour dans une histoire récente revisitée avec un sens du détail jamais vain. L’autre personnage du livre c’est l’auteur. Elle nous fait régulièrement part de ses questions, ses scrupules, ses doutes, dans cette entreprise d’autobiographie familiale.
L’écriture est fluide et sans affèterie aucune, comme si l’auteur se méfiait de toute tentative esthétique qui pourrait nuire à la sincérité de son entreprise.
La mère nommée par son prénom, Lucile, déjante avec un talent que seule Brigitte Fontaine, pourrait égaler. Néanmoins sa pathologie se fait lourde et tragique enfin. Un très bon livre ! Extrait :
« La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma sœur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreux hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. »
Je vous invite aussi à lire et à faire lire aux ados de votre entourage No et moi paru en 2007. Un roman de fiction, qui met en rapport une jeune collégienne et une jeune femme sans domicile fixe.
Retour à Killibegs de Sorj Chalandon
(éd. Grasset)
J’avais beaucoup aimé son précèdent livre « Mon traitre », voici que l’auteur repart de cette même histoire et nous dit pourquoi.
Paroles de l’auteur glanées sur le site de son éditeur :
« Une nuit de décembre 2005, j’ai écrit le mot effroi sur mon carnet. Le premier qui m’est venu. Je l’ai entouré de dizaines de cercles noirs, jusqu’à ce que le papier cède. Je venais d’apprendre que Denis, un ami irlandais, trahissait son pays depuis 20 ans. Et son combat, et sa famille, et tous ceux qu’il avait serrés dans ses bras. Effroi, ce fut le premier mot. Il a donné naissance à Mon traître, publié chez Grasset en 2008.
Ce livre était un roman. Un masque. J’avais vieilli mon traître, changé son histoire. Je lui avais sculpté un autre visage, donné un autre regard que le sien. Et moi, je m’étais fait luthier. Pas journaliste. Surtout pas. Qu’est-ce qu’un journaliste pouvait bien faire dans une histoire d’amour ? Dissimulé derrière l’effroi d’Antoine le Français, j’ai ainsi raconté l’histoire de Tyrone l’Irlandais.
En secret aussi, j’essayais de comprendre, d’accepter, de ne pas cesser de l’aimer. Avec la trahison, la confiance était pourtant morte, et aussi l’amitié, la dignité et tellement de certitudes. Quatre mois plus tard, Denis était assassiné. Alors j’ai tué Tyrone à sa suite ». Sorj Chalandon
Retour à Killybegs raconte donc la même histoire, d’un autre point de vue, puisque nous avons là véritablement l’autobiographie de Tyrone Meehan. On y retrouve d’ailleurs Antoine, mais comme personnage secondaire, et vu par les yeux de Meehan. Avec ces deux romans sur l’Irlande, mais aussi son précédent La Légende de nos pères, Sorj Chalandon poursuit cette interrogation : qu’est-ce qu’être un héros, un lâche ou un traître en temps de guerre ? Dans Retour à Killybegs, le suspense dure jusqu’au bout et nous assistons à une formidable observation du mécanisme de la trahison; mais aussi, plus banalement, de la renonciation, des compromissions qui paraissent inévitables, de la bonne conscience…
Au delà de cette plongée généreuse dans les pubs ou autres lieux irlandais, QG de l’Ira, ce livre pose une question qui peut largement dépasser ce contexte précis pour nous interroger individuellement sur ce mot de « trahison ».
Assurément une bonne lecture !
Le ravissement de Britney Spears de Jean Rolin
(éd P.O.L.)
On a forcément envie de lire un livre qui porte ce titre publié par P.O.L !
Le facétieux Rolin nous embarque dans une enquête abracadabrantesque et vaine. Hélas je n’ai pas ri une seule fois. Ce qui n’est pas juste et conforme au projet du livre, non ? Ne connaissant pas une seule des consœurs de la dite Britney, le petit monde branché de Los Angelès m’est totalement étranger et le livre bruît de multiples voix & conversations aussi creuses qu’étouffantes. On imagine que Rolin traque là dans ces pépiements une langue poétique…
Amateurs de suspens abstenez-vous. Le roman se traine et le réalisme volontaire qui accumule par principe une masse de renseignements absurdes et forcément véritables inquiète le lecteur que je suis : monsieur Rolin, avez-vous lu réellement tant de numéros de la presse people américaine ? Ok so you must be hype and trendy !
Pour amateurs, donc !
Lydie Salvayre – Hymne
(éd Seuil)
Je suis assez fidèle comme lecteur. Quand un auteur me parle, je veux dire que je me sens concerné par ce qu’il dit tout autant que par son écriture, je lis et reste curieux de ses livres. Lydie Salvayre fait partie des gens que j’ai envie d’écouter… Ce livre ne pourrait être qu’une biographie de plus sur Jimi Hendrix… Mais cet hymne américain qu’il joua à la fin des années 60 résonne comme l’écho d’une génération qui nous questionne aujourd’hui encore. L’auteure revient sur le contexte de l’Amérique des années 60 « vernissée, cocardière et sûre de son droit » ; le Vietnam, l’apartheid… L’auteure passe des éléments de biographie à une prose intime qui semble surgir des pensées d’Hendrix, son ras le bol d’être exploité par son manager, l’enfant timide à la mère absente… la drogue, la déchéance. Le ton venimeux de son livre précédent BW sert ici à viser juste et abreuve les sillons de cet « Hymne » magistral. On comprend ce que Lydie Salvayre vient chercher là, un courage, une énergie, une rage… électrique, qui nous fait parfois défaut. J’ai eu le bonheur de mettre en voix un texte plus enragé qu’engagé du même auteur dont je vous conseille la lecture : Passage à l’ennemie, qui revient sur la période où un certain Sarkozy était ministre de l’intérieur. MF
Extrait : « C’est de The Star Spangled Banner que je parle. C’est de ce morceau si légitimement fameux que Jimi Hendrix joua à Woodstock le 18 août 1969, à 9 heures, devant une foule qui n’avait pas dormi depuis trois jours, et que j’écoute des années après, dans ma chambre, avec le sentiment très vif que le temps presse et qu’il me faut aller désormais vers ce qui, entre tout, m’émeut et m’affermit, vers tout ce qui m’augmente, vers les œuvres admirées que je veux faire aimer et desquelles je suis, nous sommes, infiniment redevable. »
Carole Martinez – Du domaine des murmures
éd Gallimard
Rencontrer Carole Martinez chez une amie, c’est, à l’image de l’ histoire de cet auteur, un petit conte de fées. Pourquoi ? Parce que Carole Martinez incarne ce qu’il y a de plus enthousiasmant et super rare dans le monde littéraire, un auteur inconnu qui, parce qu’elle a du talent, connait un succès fulgurant avec un très bon premier roman… populaire et absolument bien écrit ! Alors après Le cœur cousu, on a tout simplement envie de lire le suivant ! Carole Martinez livre ici un conte inédit. MF
Extrait : « Je suis l’ombre qui cause.
Je suis celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister.
Je suis la vierge des Murmures.
À toi qui peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l’espoir des emmurées. […]
J’ai tenté d’acquérir la force spirituelle, j’ai rêvé de ne plus être qu’une prière et d’observer mon temps à travers un judas, ouverture grillée par où l’on m’a passé ma pitance durant des années. Cette bouche de pierre est devenue la mienne, mon unique orifice. C’est grâce à elle que j’ai pu parler enfin, murmurer à l’oreille des hommes et les pousser à faire ce que jamais mes lèvres n’auraient pu obtenir, même dans le plus doux des baisers. […]
Entre dans l’eau sombre, coule-toi dans mes contes, laisse mon verbe t’entraîner par des sentes et des goulets qu’aucun vivant n’a encore empruntés. Je veux dire à m’en couper le souffle.
Écoute ! »
Thomas Vinau – Nos cheveux blanchiront avec nos yeux
éd. Alma
Un premier roman d’un jeune auteur…et une toute nouvelle maison d’édition : Alma Editeur.
La forme de ce roman est-elle vraiment nouvelle ? Non, je ne crois pas. Mais il s’agit ici d’un livre qui raconte deux moments de la vie d’un homme avec une certaine délicatesse. Walter quitte la femme qu’il aime parce que « quand on aime il faut partir » dit le poète Blaise Cendrars cité en exergue. Puis Walter revient vers la femme qui entre-temps lui a donné un fils. Les courtes séquences dressent un portrait de père qui à présent collectionne signes et petits riens. Je ne peux alors m’empêcher alors de me souvenir de Delerm à l’époque de la première gorgée de bière. Néanmoins des deux parties j’avoue être plus séduit par l’errance et la fuite du début… MF
Extrait : Moby Dick
Le port est plein de perdants magnifiques. Walther hésite entre deux chalutiers des grands fonds. l’Achab et le Terre-Neuve. Il opte pour le premier et vient s’agglutiner à la longue file des demandeurs d’emploi. Merlan, cabillaud, thon ? lui demande le capitaine.
Il répond par un signe de tête et se retrouve embarqué sur le pont de l’Achab à cinq heures du matin. Destination : l’archipel de Svalbard, en Norvège.
Vincent Almendros – Ma chère Lise
éd. Minuit
La première phrase : « Lise s’amusait d’un rien, en l’occurrence de moi ».
C’est l’histoire d’un prof qui donne des cours à une jeune ado d’une famille bourgeoise, il croit être tombé amoureux de sa jeune élève jusqu’au moment où arrive la meilleure amie de cette jeune fille… On pense à Sagan, peut-être pour cette écriture un peu classique, qui crée une atmosphère feutrée, d’une belle tenue. On s’amuse à imaginer cet auteur, qui est lui-même à l’instar de son personnage…professeur de collège ! À 32 ans il risque de perturber plus d’une collégienne. Liront-elles davantage ? MF