Cafés littéraires en région
d’avril-mai

carrere_autresviesCette rubrique insolite me permet d’établir des parallèles de fildefériste dont voici un petit tour :

Vu l’excellent film de Philippe Lioret Welcome (co-scénarisé par Olivier Adam l’auteur de À l’abri de rien) et j’y vois un parallèle hors de toute fiction ou affabulation avec le travail d’ Emmanuel Carrère l’auteur de D’autres vies que la mienne, pour qui la réalité devient une marque de fabrique. Ici on explore un autre genre d’auto-fiction qui semble nous indiquer que « notre vie est constituée par la vie des autres ». Et l’émotion s’associe et s’allie à l’intelligence pour constituer un outil de connaissance des autres… comme de soi même.

À la manière d’un journaliste (ce qui est en réalité le métier exercé par sa femme à LCI) Emmanuel Carrère réalise un livre composé de récits très forts qu’il rédige d’après des entretiens glanés au plus près des protagonistes. Tous ont en commun la perte et l’absence engendrée par la mort qui, d’une petite fille, Juliette pour ses parents, Jérôme et Delphine (E. Carrère est d’ailleurs présent quand la vague du tsunami emporte Juliette en 2004) qui… d’une autre Juliette, juriste (et sœur de l’auteur) mutilée puis finalement emportée par un cancer. Etienne est l’ami intime de cette Juliette, un personnage troublant, unijambiste et altruiste, possédant une belle humanité. Je considère pour ma part la lecture de ce livre comme un véritable expérience, riche et troublante. Les pages crues sur les derniers jours de Juliette ne sont pas faciles à lire mais on en sort apaisé, car ce n’est malgré tout pas… « notre histoire » c’était simplement la sienne. J’ai dévoré ce livre qui utilise les codes du roman à suspens, rebondissements, flash-back… Un livre dont on se souvient !

(Extrait :) « Il était là, il tenait dans ses bras sa femme en train de mourir et, quel que soit le temps qu’elle y mettrait, on pouvait être sûr qu’il la tiendrait jusqu’au bout, que Juliette dans ses bras mourrait en sécurité. Rien ne me paraissait plus précieux que cette sécurité-là, cette certitude de pouvoir se reposer jusqu’au dernier instant dans les bras de quelqu’un qui vous aime entièrement. »

Critique de François Dufay, L’Express, 12 mars 2009 : « On peut penser que cette littérature en prise avec le présent, avec les peurs de notre société, ferme autant de portes qu’elle n’en ouvre. Une chose est sûre : noyant son narcissisme dans la vie des autres, Emmanuel Carrère, rescapé, lui aussi, de ses naufrages intérieurs, fait l’éloge des « hommes de bonne volonté », essaie d’en devenir un. Avec ce livre dramatique et serein, la non-fiction novel à la française a trouvé son maître. »

couv-paris-brestParis-Brest de Tanguy Viel (éd. Minuit)

Grande maîtrise du style et de l’intrigue et surtout quel bonheur de rire en lisant ce livre succulent ! Plus écœurant qu’une grosse pâtisserie à la crème en fin d’un repas de famille dominical. Ici la famille est cruelle. On s’écorche, on se trahit gaiement. C’est formidable. Paris-Brest est un objet fascinant dans sa manière de jouer avec le temps de la narration et celui des événements racontés.

« Tout, dans cette histoire familiale, a un lien de cause à effets, que le lecteur découvre avec une ivresse autant due à la vitesse des phrases qu’à l’impeccable précision des scènes. Il y a le Cercle Marin, sorte de restaurant pour bonnes familles de marins qui sont « certain(e)s de représenter et de transmettre encore, une sorte de France antique et royaliste, et comme encore secouée par l’Affaire Dreyfus » où le narrateur, adolescent, vient manger avec sa grand-mère. La vieille dame y rencontrera un plus vieux qu’elle : un riche aux airs d’amiral, qui veut l’épouser et lui transmettre ses dix-huit millions. » Thierry Guichard, Matricule des Anges.

« Tout est possible. On peut raconter l’histoire, on peut raconter les lieux, on peut raconter l’écriture. On peut aussi passer en revue, sans exiger de garde-à-vous, les différents personnages. Ça donne : la grand-mère empoche 18 millions à quelques encablures de la mort ; la mère ouvre une boutique de souvenirs à Palavas-les-Flots, avant de la fermer aussi sec pour cause de déficit ; l’horrible fils de la femme de ménage (forcément) sème la discorde entre les uns et les autres ; le frère dissimule une homosexualité connue de tous ; le père se retrouve démis de ses fonctions de vice-président du Stade Brestois, après avoir creusé un trou de 14 millions. Et le fils, apprenti écrivain, veut raconter tout ça dans un roman familial. Ça sera bien. Plein de petits secrets sordides exposés au vu et au su du monde entier. En bref : une vie bue au goulot par des êtres de fric (les jeunes) ou de frac (les vieux) mais, bon, à la fin, tous avides-cupides quand même. »

(extrait du Journal du Dimanche, 11 janvier 2009, Marie-Laure Delorme).